La loi PACTE, adoptée en France en 2019, a introduit les notions de "raison d'être" et de "société à mission". Ces concepts, qui interrogent la finalité même des entreprises, suscitent un intérêt croissant, notamment auprès des startups.
Dans cet article, nous explorons la relation entre la raison d'être et la mission, en mettant l'accent sur leurs enjeux et leur application concrète, en particulier pour les jeunes entreprises.
La raison d'être ou le "pourquoi" profond
La raison d'être d'une entreprise transcende sa simple dimension économique. Elle définit sa contribution positive à la société et son utilité pour son écosystème.
La raison d'être répond à des questions fondamentales : "Pourquoi cette entreprise existe-t-elle ?" et "En quoi est-elle utile à la société ?"
Dans son best seller "Commencer par le pourquoi", l'auteur Simon Sinek explique que le "Pourquoi" n'a rien à voir avec l'argent et les profits... C'est plutôt la raison qui nous inspire et inspire également les gens autour de nous. Il prend des exemples de personnalités comme Martin Luther King.
La raison d'être doit être authentique et refléter l'essence même de l'entreprise, et non pas se résumer à un simple slogan ou "positionnement" marketing.
Sa formulation, généralement concise et percutante, doit être un guide pour prendre des décisions stratégiques. C'est aussi un moteur d'innovation.
La mission : traduire la raison d'être dans l'action
La mission est une traduction concrète de la raison d'être. Elle se matérialise par des engagements précis, mesurables et suivis.
Ces engagements, inscrits dans les statuts de l'entreprise, définissent la manière dont elle compte atteindre ses objectifs sociaux, sociétaux ou environnementaux.
On parle alors de "société à mission". Celle-ci s'engage à un niveau de transparence élevé, notamment via un comité de mission et un organisme tiers indépendant.
L'adoption de la qualité de société à mission témoigne d'une volonté forte et réelle de contribuer positivement à la société, au-delà des simples déclarations d'intention.
Une jeune entreprise, c'est comme un enfant : si elle adopte de mauvaises habitudes dès sa naissance, elle risque de reproduire ces mêmes actions tout au long de son existence...
Il faut partir sur des bases saines.
Pourquoi la raison d'être est essentielle pour une startup ?
Un levier de différenciation et d'attractivité
Dans un contexte où le sens au travail est devenu une quête essentielle, la raison d'être et la mission peuvent être des atouts majeurs pour les startups.
Elles permettent de se démarquer de la concurrence en affirmant des valeurs fortes et un engagement sincère pour la société. Contribuant ainsi à une croissance durable.
Ces startups contribuent à attirer et fidéliser les talents (ce qui n'est pas une mince affaire avec la génération Z !). Car de plus en plus collaborateurs sont en quête de sens et d'impact positif dans leur travail.
Enfin, une raison d'être pertinente séduit les investisseurs. Eux aussi sensibles aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance).
La raison d'être est-elle compatible avec l'actionnariat ?
La compatibilité entre le pacte d'actionnaires et la raison d'être est une question cruciale pour les jeunes entreprises à fort potentiel de croissance.
Le pacte d'actionnaires, souvent mis en place lors de la création d'une startup, vise à protéger les intérêts financiers des investisseurs et à maximiser la rentabilité à court terme.
Ce qui est en contradiction totale avec le principe de la raison d'être...
La raison d'être a une finalité plus large pour l'entreprise, en priorisant les enjeux sociaux et environnementaux. Elle peut même servir de guide pour des pivots stratégiques, allant au-delà de la simple recherche du "Product Market Fit".
Cet équilibre entre enjeux économiques et raison d'être est en partie tributaire de l'engagement des dirigeants. Ces derniers doivent placer les valeurs et les principes portés par leur projet au-dessus de la rentabilité à court terme.
Malheureusement, cela risque de ne pas suffire. Les pouvoirs publics doivent davantage soutenir les entrepreneurs porteurs de projets à mission par des exonérations fiscales par exemple.
La société dans son ensemble doit aussi valoriser les projets avec une intention éthique et profitable pour tous. Au lieu de plébisciter la réussite purement financière et le gain "facile" et sans effort.
Pour s'en rendre compte, il suffit de regarder le succès sur YouTube de vidéos du type "Comment passer de 0 à 1 million de CA en 1 an" ou "Comment gagner 1000€/mois Sans Produit"...
A-t-on encore besoin de présenter OpenAI ? En mettant sur le marché son outil ChatGPT, la startup américaine est mondialement connue aujourd'hui.
Mais revenons un peu sur son histoire.
Fondée en 2015 en tant qu'organisation à but non lucratif. Voici comment OpenAI présentait sa mission à cette époque (traduit de l'anglais) :
"OpenAI est une entreprise de recherche en intelligence artificielle à but non lucratif. Notre objectif est de faire progresser l'intelligence numérique de manière à ce qu'elle profite à l'humanité dans son ensemble, sans être contrainte par la nécessité de générer un retour financier."
Cependant, au fil des années, l'entreprise a opéré une transition notable vers une orientation plus commerciale.
En 2019, OpenAI a créé une entité à but lucratif, OpenAI LP, pour attirer des investissements substantiels nécessaires à ses projets ambitieux.
Cette structure hybride, combinant une gouvernance à but non lucratif avec des opérations à but lucratif, a suscité des débats sur la compatibilité entre mission sociale et objectifs commerciaux...
En 2023, OpenAI lève 6,6 milliards de dollars. L'une des plus importantes levées de fonds de l'Histoire !
Mais avec une condition clé : achever sa transition vers une entité entièrement à but lucratif d'ici à deux ans, sous peine de rembourser les investisseurs.
Cette évolution a intensifié les discussions sur la transformation de l'entreprise vers une approche centrée sur la monétisation de ses technologies d'IA.
Cette transition a également engendré des tensions internes et des départs de cadres clés, reflétant des divergences sur l'orientation stratégique de l'entreprise.
Des personnalités influentes ont exprimé des préoccupations quant à l'évolution d'OpenAI vers une entité axée sur le profit, s'éloignant de sa mission initiale d'utilité publique.
Cette transformation illustre les défis auxquels sont confrontées les entreprises à haut potentiel lorsqu'elles tentent de concilier mission sociale et impératifs économiques.
Selon les membres du Groupe de Travail de la Communauté des Entreprises à Mission, il n'y a pas de méthode unique pour définir la raison d'être d'une entreprise et sa mission.
Ils insistent sur la diversité des situations et des contextes, et sur l'importance d'adapter la démarche à chaque entreprise.
Néanmoins, trois grandes approches sont identifiées par ce groupe de travail :
1. Approche holistique ("all in one") :
Définition simultanée de la raison d'être et des engagements. Cette approche consiste à travailler en parallèle sur la raison d'être et les engagements associés.
Elle est illustrée par les startups MySezame et Toguna.io, qui ont utilisé la méthode de l'Ikigai pour décliner leur raison d'être en Vision/Mission/Valeur.
2. Approche itérative ("pivot") :
Certaines entreprises, comme Howtank et Gifts for Change, ont préféré définir leur raison d'être après avoir expérimenté et fait évoluer leur modèle économique. Cette approche permet de s'adapter aux changements et de clarifier la raison d'être en se confrontant à la réalité du marché.
3. Approche pragmatique ("bottom-up") :
Priorité aux engagements concrets ! AmazingContent.io est spécialisée dans la stratégie de communication pour les dirigeants.
L'entreprise a choisi de se concentrer d'abord sur la définition d'engagements sur le terrain, avant de formaliser sa raison d'être. Cette approche pragmatique permet d'avancer étape par étape et de s'appuyer sur des actions tangibles.
Au-delà de ces trois approches, voici quelques éléments clés tirés de ces travaux pour définir la raison d'être :
-Engagement sincère : L'intention est l'élément essentiel. La démarche doit être sincère et authentique. Car elle permettra de maintenir cet engagement sur le long terme.
- Importance du collectif : La raison d'être ne doit pas être imposée par le dirigeant, mais doit être le fruit d'une réflexion collective impliquant les différentes parties prenantes de l'entreprise.
Néanmoins, la direction doit incarner cette vision pour inspirer les collaborateurs et partenaires dans ce sens.
-Nécessité d'une introspection approfondie : La définition de la raison d'être exige un travail d'introspection pour identifier les valeurs fondatrices de l'entreprise, son rôle dans la société et sa contribution au bien commun.
Cela peut nécessiter du temps et une capacité de prendre du recul sur ces actions.
- Ancrage dans la réalité : La raison d'être doit être en lien direct avec l'activité de l'entreprise et doit pouvoir se traduire en actions concrètes.
Par exemple, en soutenant une association à but non lucratif en lien avec son activité.
1.Alenvi
Alenvi est une startup qui vise à humaniser les relations d'accompagnement aux personnes fragilisées. Elle s'engage à valoriser les professionnels du secteur et à réconcilier les enjeux économiques et humains. Son engagement social est au cœur de son objet social.
Elle a formalisé cinq engagements, y compris la garantie d'un cadre de travail digne et la co- construction de solutions pour transformer le secteur.
Alenvi utilise des indicateurs pour suivre ses progrès, comme le pourcentage de clients bénéficiant d'un tarif social.
2. Gifts for Change
Gifts for Change est une startup qui utilise les objets comme levier de financement pour le secteur associatif. Elle propose une alternative éco-responsable dans le secteur de la communication par l'objet.
La startup a eu des difficultés à formaliser sa raison d'être au début en raison de la dimension multiple de ses impacts positifs.
Elle a travaillé sur la formalisation de ses engagements en se basant sur un travail collectif et des documents existants.
Gifts for Change a également un comité stratégique qui a été invité à challenger et à amender ses engagements.
3. MySezame
MySezame propose des formations aux entreprises pour les aider à évoluer vers des modèles alliant rentabilité et impact positif.
La fondatrice a participé au comité de mission d'une autre entreprise, ce qui l'a aidée à mieux comprendre les questions à se poser pour sa propre raison d'être.
MySezame a convié un comité de challenge composé de parties prenantes externes pour challenger sa raison d'être.
Ces exemples sont issus du groupe de travail “Startup à mission” dont le site est accessible dans les ressources citées plus bas.
La raison d'être et la mission sont bien plus que de simples concepts à la mode. Elles représentent un véritable mouvement de fond qui invite les entreprises, et notamment les startups, à repenser leur rôle dans la société.
En intégrant ces dimensions dès le départ, les entreprises peuvent contribuer à construire un avenir plus durable et plus juste, tout en renforçant leur propre pérennité.
Car c'est aussi un enjeu "business". Les clients veulent des produits et des services qui ont un sens et une relation authentique basée sur des valeurs fortes.
Voici quelques ressources complémentaires pour aller plus loin sur ce sujet :
Définir sa raison d'être et mission : 4 raisons de se lancer
Communauté des Entreprises à Mission